Les trous de mémoire du président Petit

— Le 26 février 2020


Les trous de mémoire
du président Petit


Personne ne veut la disparition de l’Agence nationale de la recherche, assurait Antoine Petit, le PDG du CNRS dans notre interview parue le 24 janvier dernier (allez, relisons-la). Et bien si, lui rappelle Christophe Blondel, chercheur au laboratoire de physique des plasmas et trésorier national du SNCS-FSU.

Belle interview d’Antoine Petit, à faire lire à tous ceux de nos camarades qui se sont émus (à mon avis en se laissant trop fasciner par ce passage de sa tribune) du fameux plaidoyer pour le darwinisme en recherche.

Mais il est gonflé, Antoine Petit, de dire qu’il « n’a pas entendu grand monde remettre en cause l’existence de l’ANR ». Le SNCS – ce qui n’est pas tout à fait négligeable – l’a fait explicitement, par ma voix, lors de l’audition menée par le groupe de travail n°1 pour la préparation de la LPPR, sous sa présidence, le 27 mars 2019. Le SNTRS-CGT avait dit la même chose, une heure avant. Le GT1 l’a purement et simplement censuré !

« Il est gonflé de dire qu’il n’a pas entendu grand monde remettre en cause l’existence de l’ANR »
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Ce n’est pas que rien de ce que nous avons dit n’est resté dans les rapports. Tant que nous avons abondé dans le sens du constat consensuel « la recherche est sous-financée », tout est allé très bien. En revanche, tout ce que nous avons raconté sur la nécessité de réduire la « culture de projet » et d’abandonner les idées délétères de ceux qui nous gouvernent en matière de « starisation » du système est passé sur nos auditeurs comme l’eau sur les plumes d’un canard. La question de la suppression de l’ANR en est l’exemple-type. Lorsque Petit m’a interpellé en disant quelque chose du genre « le constat, nous le faisons tous, ce que nous attendons de vous ce sont des propositions concrètes » j’ai répondu à peu près : « En voilà une : nous vous proposons de supprimer l’ANR et de restituer ses moyens, tant en personnel que budgétaires, aux organismes de recherche ». Josiane Tack, secrétaire générale du SNTRS-CGT, qui avait été auditionnée avant moi, avait fait exactement la même proposition. Nous avons remarqué très vite, ensuite que cette proposition très concrète avait été complètement passée sous silence dans le rapport du GT1. Mais je ne pensais tout de même pas que Petit aurait le toupet de soutenir que personne, jamais, n’a proposé de supprimer l’ANR. Deux syndicats, et pas les moins représentatifs du monde de la recherche publique, l’ont fait, lors d’une audition officielle, devant lui, et ça remonte à moins d’un an.

« Le milieu a maintenant un profond sentiment de rejet vis-à-vis de l’ANR. Les gens hésitent juste encore un peu à le dire ouvertement. »
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C’est encore sur le même sujet que je suis intervenu, le 4 juillet dernier, lors de la réunion plénière du Comité national, au centre universitaire des Saints-Pères. Comme j’avais essentiellement suggéré à mes chers collègues de réclamer la suppression de l’ANR parce que le CNRS, dont on célébrait en même temps les 80 ans, avait très bien vécu entre 1939 et 2005 sans ANR, concluant que l’ANR était un « organisme parasite », j’eus droit à un tonnerre d’applaudissements dont je suis presque resté gêné. Le milieu a maintenant un profond sentiment de rejet vis-à-vis de l’ANR. Les gens hésitent juste encore un peu à le dire ouvertement. Il faut les encourager et on progresse !


Bref, oui, cette audition par le GT1, au mois de mars, s’était passée dans une ambiance relativement cordiale. Il faut juste ne pas tenir rigueur à Antoine Petit du caractère un peu direct de son style, qui peut facilement vous désorganiser le plan que vous aviez envie de suivre … De même il ne faut pas s’émouvoir exagérément de ses analogies un peu à l’emporte-pièce avec certains processus biologiques. Il n’en demeure pas moins que sa sortie sur le darwinisme méritait d’être relevée, comme vous l’avez très bien fait. A la vérité, l’image était totalement inappropriée, ce qu’ont excellemment montré de très remarquables tribunes de nos collègues biologistes, par exemple l’article de Michel Veuille « Le CNRS n’a pas à propager d’idées reçues sur Darwin » le 8 janvier dans Libération. D’autres, dès le mois de décembre, avaient mis les points sur les i, en soulignant dans un texte collectif publié dans le Monde que « la sélection naturelle porte sur des variations aléatoires, or les chercheurs ne travaillent pas au hasard »…
« Son appétence pour la mise en compétition (…) et sa fascination pour les vedettes restent une tendance très inquiétante »
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N’empêche que nous devons donc rester vigilants. Car si Antoine Petit rappelle bien, même dans l’interview aux Échos qui a fait tant de bruit, que la science « se joue sur le temps long » et s’il a bien eu, au Sénat il y a quinze jours, lors du lancement du numéro de la revue Histoire de la recherche contemporaine consacré à l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, une phrase très bien tournée pour défendre la recherche fondamentale, son appétence, très gouvernement-compatible, pour la mise en compétition de tous contre tous et sa fascination pour les « vedettes » restent une tendance très inquiétante.
La lutte pour l’information et la défense du milieu continue !


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