🍀 Les doctorants et le secret des affaires



17 septembre 2021 | La recherche et sa pratique 
Une thèse
en immersion

On ne vous présente plus le dispositif Cifre, qui permet de préparer une thèse dans une entreprise ou une collectivité. L’occasion de faire de la recherche appliquée avec un pied hors des labos.
La recherche en action. Même si on l’imagine plus en sciences dites “dures”, le principe fonctionne aussi en sciences humaines et sociales. Avec notamment la recherche-action, méthode qui permet de transformer son objet d’étude.
La dĂ©marche a pris de l’ampleur ces dernières annĂ©es, ouvrant la voie Ă  de nouveaux questionnements et Ă  de nouvelles dĂ©couvertes, comme l’exposent Olivia Foli et Marlène Dulaurans dans cet article.
La lumière de la science. Même si ce numéro pointe certaines difficultés propres aux SHS, loin de nous l’idée d’en peindre un tableau sombre. Adepte de la « ténacité paradigmatique » chère aux deux docteures précitées, bonjour !

A très vite,
Lucile de TMN
 PS  Merci Ă  Guillaume Lacroix, docteur en urbanisme, pour son tĂ©moignage autour de la thèse Cifre qui, mĂŞme s’il n’apparaĂ®t pas explicitement dans ce numĂ©ro, m’a beaucoup aidĂ© Ă  en comprendre les enjeux.


Au sommaire de ce numéro
  • Publier malgrĂ© le secret des affaires
  • Les Cifre en SHS, Adrien Lusinchi fait le point
  • Un outil pour retrouver vos voisins de citations
  • Des infos en passant
  • Votre revue de presse express
  • Et pour finir avec le retour du mammouphant



A partir de ce point, cinq minutes de lecture



Derrière le secret des affaires


Quand la thèse prend un tour judiciaire… c’est l’expĂ©rience dĂ©licate vĂ©cue par certains doctorants. Analyse d’un de ces cas.




Peut-on tout publier ?
Faire une thèse Cifre en SHS ? C’est de plus en plus courant : elles reprĂ©sentaient 28% des Cifre en 2020, un nombre qui a doublĂ© depuis 2007. Mais en terme de propriĂ©tĂ© intellectuelle, les doctorants sont encore trop peu protĂ©gĂ©s face Ă  des structures d’accueil qui chercheraient Ă  bloquer ou amender une publication acadĂ©mique, malgrĂ© une prise de conscience rĂ©cente (voir notre interview â–Ľ).
Entre deux feux. Si certaines entreprises consentent à être citĂ©es dans les publications , elles n’acceptent pas nĂ©cessairement des critiques qui les accompagnent… et qui risqueraient de ternir leur image. C’Ă©tait le cas d’AurĂ©lie Landon, actuellement doctorante en Ă©tudes urbaines, qui devait gĂ©rer ce genre d’injonctions paradoxales : « publier en les citant nommĂ©ment sans pouvoir analyser leur stratĂ©gie ».
Choc culturel. Des problèmes structuraux, il y en a parfois dans les entreprises ou les collectivitĂ©s, mais elles n’ont pas l’habitude d’en recevoir une analyse froide et rĂ©flexive. Au dĂ©part bien intĂ©grĂ© dans son organisation d’accueil, le doctorant peut alors devenir un inquisiteur au regard de ses collègues – au risque de lui coĂ»ter l’accès Ă  son terrain d’Ă©tude.
« L’entreprise a fait pression pour que je cède mes droits, ce qui signifiait abandonner l’idĂ©e de dĂ©poser mon manuscrit et de publier mes travaux »
Thèse secrète. C’est ainsi que des employeurs font appel Ă  des juristes pour faire obstacle Ă  la publication des travaux : « A la fin de mon contrat Cifre, l’entreprise a fait pression en s’aidant d’un cabinet d’avocats spĂ©cialisĂ© en propriĂ©tĂ© intellectuelle pour que je cède mes droits, ce qui signifiait abandonner l’idĂ©e de dĂ©poser mon manuscrit et de publier mes travaux », raconte AurĂ©lie.
A ne pas divulguer. Plus prĂ©cisĂ©ment, a Ă©tĂ© invoquĂ© par l’entreprise le secret des affaires, protĂ©gĂ© par la loi depuis 2018. Le soucis ? Sa dĂ©finition est assez vague et surtout, son pĂ©rimètre n’a pas Ă  ĂŞtre cadrĂ© au dĂ©but du contrat. « L’entreprise a une libertĂ© totale sur ce qui en relève ou non », explique AurĂ©lie. D’autant plus qu’il n’existe pas de jurisprudence en la matière. 
Epilogue. Faute d’obtenir des rĂ©ponses prĂ©cises de la part de ses tutelles acadĂ©miques, AurĂ©lie a dĂ» prendre une avocate, qu’elle a payĂ© de sa poche. « Cela a Ă©tĂ© un rapport de force mais après nĂ©gociations, j’ai pu conserver les droits d’auteur sur mon travail », qu’elle soutiendra bientĂ´t. Un cas d’Ă©cole qui pourrait servir aux prochains doctorants.
 Et l’ANRT, dans tout ça ?  La prioritĂ© de l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) est la promotion des Cifre auprès des entreprises, tel que dĂ©fini dans leurs missions et elle ne suit pas les doctorants au cas par cas. L’agence attribue les Cifre et distribue les subventions du ministère aux entreprises (14 000 euros par an durant trois ans, le reste Ă©tant Ă©ligible au crĂ©dit impĂ´t recherche).


Exigences académiques
Lorsque les doctorants en Cifre prĂ©sentent leurs travaux Ă  leurs pairs acadĂ©miques, ils se voient demander plus de justifications mĂ©thodologiques que les autres… et c’est normal. En effet, leur dĂ©marche Ă©pistĂ©mologique est souvent « teintĂ©e d’ajustements », sans pour autant lĂ©ser la scientificitĂ© de la thèse. Mais ces dĂ©tails sur leur employeur ou ces donnĂ©es collectĂ©es, les doctorants ne sont en gĂ©nĂ©ral pas sĂ»rs de pouvoir les communiquer sans se mettre juridiquement en danger. Un vide Ă  combler.


Quatre questions Ă … Adrien Lusinchi


« On doit se forger plusieurs identités professionnelles »


Doctorant en sociologie via le dispositif Cifre, Adrien Lusinchi est le nouveau prĂ©sident de l’association AdCifreSHS.




Quelle est la particularité des thèses Cifre en SHS ?
Les SHS sont très larges et on trouve des situations très diverses qui vont d’une thèse en gestion dans un grand groupe ou au sein d’une Ă©quipe de R&D consĂ©quente, Ă  un doctorat en sociologie dans une collectivitĂ© territoriale, axĂ©e sur du travail opĂ©rationnel. Mais, en gĂ©nĂ©ral, les organisations ne connaissent que très peu le monde de la recherche. Il y a donc parfois de grands Ă©carts entre les prĂ©occupations des organisations et celles de l’acadĂ©mie.
En quoi cela pose problème pour les doctorants ?
On doit se forger plusieurs identités professionnelles. Au temps long de la recherche s’oppose celui des organisations, plus rapide et plus opérationnel. De plus, on ne s’adresse pas de la même manière dans nos productions écrites, à l’organisation qui accueille le doctorant ou à l’université. Certains éléments déplaisent aux premiers et cela risque de générer des tensions.
Est-ce que les conflits sont fréquents ?
Ils ne sont pas rares et je dirais mĂŞme qu’ils sont quasiment systĂ©matiques – sans forcĂ©ment devenir graves s’ils sont nĂ©gociĂ©s. Ces conflits peuvent par exemple trouver leur source dans les publications, pour lesquelles il faut l’accord de l’organisation. Celle-ci peut juger des Ă©lĂ©ments potentiellement prĂ©judiciables et prĂ©fĂ©rer ne pas prendre de risque en n’autorisant pas la publication. D’autres conflits trouvent leur origine dans la dĂ©finition du travail et sa rĂ©partition entre le laboratoire et l’employeur, celui-ci jugeant parfois qu’une tâche correspondra Ă  un travail de recherche alors que ce n’est pas le cas.
Comment l’association AdCifreSHS aide les doctorants ?
Pour désamorcer les conflits, la directrice ou le directeur de thèse est la personne clé. Mais parfois, la présence d’un troisième acteur est nécessaire et AdCifreSHS compte jouer ce rôle, en plus de renseigner les doctorants sur des points précis comme le droit des Cifre. L’objet de l’association est d’animer un espace d’échange, d’accompagner les doctorants, avant, durant et après leur Cifre et enfin d’informer autour de la recherche-action, pour laquelle le dispositif Cifre est propice.


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Un outil dans la boîte


Publications jumelles




 Qui publie sur les mĂŞmes sujets que vous ?  BasĂ© sur les liens de citations-rĂ©fĂ©rences, CoCites va peut-ĂŞtre changer vos recherches bibliographiques. Pour une publication scientifique, l’outil retourne toutes celles qui ont Ă©tĂ© citĂ©es en mĂŞme temps – autrement dit qui figurent ensemble dans une mĂŞme liste de rĂ©fĂ©rence – avec le nombre d’occurrence. Une approche qui complète bien les recherches par mots-clĂ©s pour Cecile Janssens une des chercheuses Ă  l’origine de CoCites.


 Des infos en passant  Une liste de revues non prédatrices – donc recommandées – vient d’être publiée par la commission de déontologie et d’intégrité scientifique de la Faculté de médecine de Sorbonne Université //////// Ma thèse en 180 secondes : la finale internationale aura lieu le 30 septembre à Paris //////// L’agence australienne de la recherche est finalement revenue sur sa décision de bannir les citations de preprints dans les appels à projet //////// 


//////// PREreview, une nouvelles plateforme pour former des communautés disciplinaires et reviewer à son initiative des preprints //////// Le festival de science-fiction les Utopiales revient fin octobre, avec une bonne dose de scientifiques. En espérant qu’il ne soit pas annulé au dernier moment comme l’an dernier ! ////////


Votre revue de presse express


  • Ni tout blanc… Les dĂ©fenseurs de l’open science ont aussi une responsabilitĂ©, affirme la chercheuse Gowri Gopalakrishna dans Nature : se battre pour l’intĂ©gritĂ© scientifique afin de prĂ©venir les dĂ©gâts causĂ©s par des preprints de mauvaise qualitĂ©.
  • … ni tout noir. Soumettre Ă  deux revues en mĂŞme temps, est-ce un crime ? Cela peut aboutir Ă  plusieurs relectures, ce qui n’est pas si mal, relativise Scholarly Kitchen. Une rĂ©flexion sur le peer review qui peut rĂ©pondre au papier prĂ©cĂ©dent.
  • Inclusive. Plus de justice sociale dans le monde de la recherche et de ses publications, c’est l’objectif de cette tribune en dix recommandations par 500 Women Scientists et d’autres associations, Ă  lire dans Inside Higher ED.
  • Sombre. En Afghanistan, la recherche s’arrĂŞte. Après une histoire chaotique et des annĂ©es d’efforts pour la redynamiser, les chercheurs afghans sont dĂ©pitĂ©s, mais aussi très inquiets pour le futur, rapporte Physics World. 


Et pour finir…
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Bienvenue Ă  Jurassic Park. Cloner les mammouths, disparus il y a des millĂ©naires ? Que nenni. Le projet du gĂ©nĂ©ticien amĂ©ricain George Church est aujourd’hui de crĂ©er un hybride mammouth-Ă©lĂ©phant grâce Ă  la gĂ©nomique (dont CRISPR-Cas9). Et ceci pour la bonne cause : rĂ©introduire les mammouths en rĂ©gion arctique ralentirait entre autres la fonte du permafrost. Une hypothèse qui ne fait apparemment pas l’unanimitĂ© chez les scientifiques.